L'esclavage dans la Rome Républicaine

Bibliographie

FINLEY M. I., L'économie antique, Editions de Minuit, 1973
GOUDINEAU C., César et la Gaule, Seuil Points
p.317 et sq. 
SCHMIDT J., Vie et mort des esclaves dans la Rome
antique
, Albin Michel, 2003 ch. 6 : La riposte des esclaves (révoltes de Sicile et Spartacus)
SALLES C., Spartacus et la révolte des gladiateurs, Éditions Complexe, 1990 et 2005

Du fait des guerres qu'elle a menées dans tout le monde méditerranéen, Rome a pu se procurer de nombreux esclaves. Leur nombre va croissant des débuts de la République à l’Empire.

L'esclavage pour dettes

L'esclavage pour dettes est une des conséquences indirectes du droit absolu du père de famille sur ses enfants. Pour s'acquitter de dettes trop élevées, le père pouvait, en effet, vendre son enfant - de fait, il le réduisait en esclavage. Des citoyens pouvaient être en raison de leurs dettes être mis aux fers, puis vendus. Ce n'est qu'en 326 avant notre ère que l'esclavage pour dettes est aboli pour le citoyen romain :

Cette année le peuple romain entra, pour ainsi dire, dans une ère nouvelle de liberté : l'asservissement des débiteurs fut aboli ; le droit changea.

Tite-Live, Ab urbe condita, VIII, 28


Guerre et esclavage

Le premier grand afflux d’esclaves à Rome débute après les guerres puniques. Les auteurs de l’Antiquité rapportent que lors de la conquête de la Gaule, César fit ainsi près d'un million de prisonniers qui furent vendus comme esclaves :

En moins de dix ans qu'a duré sa guerre dans les Gaules, il a pris d'assaut plus de huit cents villes, il a soumis trois cents nations différentes, et combattu, en plusieurs batailles rangées, contre trois millions d'ennemis, dont il en a tué un million, et fait autant de prisonniers.

Plutarque, Vie de César, XV, 5 


Prisonniers de guerre entre 264 et 31 avant notre ère

La principale source de l'esclavage à Rome demeure, en effet, la guerre et s'accroît depuis la seconde guerre punique. Des auteurs anciens donnent les chiffres suivants :

- Habitants de Tarente (209) : 30 000
- Sardaigne (176) : un grand nombre
- Épirotes (167) : 150 000
- Carthaginois (146): 50 000
- Corinthiens (146) : 50 000
- Espagnols (150-100) : très nombreux
- Cimbres et Teutons (102-101) : 150 000
- Guerre de Pompée en Asie (66-62) : 100 000
- Guerre des Gaules : 1 000 000

 

La piraterie

Avant l'intervention de Pompée qui combattit la piraterie en Méditerranée, les pirates étaient une des principales sources d'approvisionnement d'esclaves. Les îles proches de la côte de Pamphilie ou de Cilicie, Chypre et Délos, étaient de grands marchés qui pouvaient recevoir et exporter chaque jour des dizaines de milliers d'esclaves :

Il était facile pour les Ciliciens de se procurer des prisonniers de guerre, et tout aussi facile de les vendre, car à proximité de leurs côtes, ils trouvaient un grand et riche marché, celui de Délos, qui pouvait en un jour recevoir et écouler plusieurs myriades d'esclaves, d'où le proverbe si souvent cité : « Allons, vite, marchand, aborde, décharge, tout est vendu ». Quelle était la raison de ce commerce ? Les Romains, enrichis par la destruction de Carthage et de Corinthe, s'étaient vite habitués à se servir d'un très grand nombre d'esclaves. Les pirates virent bien le parti qu'ils pouvaient en tirer, et, conciliant les deux métiers - brigands et marchands d'esclaves - ils en vinrent proprement à pulluler. 

Strabon, 14, 5, 2

 

Le marché aux esclaves

À Rome, le marché se tient au Sud du forum, près du temple de Castor et Pollux. Exposés sur des estrades, le plus souvent nus, ils portent souvent un écriteau qui indique leur origine et leurs qualités. Le vendeur doit garantir son esclave : certains vices, comme la surdité, la myopie, l'épilepsie, ou un vice général de conformation, doivent être déclarés à l'acheteur. Les défauts moraux (par exemple, est-ce un buveur ?) doivent aussi être précisés par le mango, le vendeur d'esclaves :

Florus, fidèle ami du bon et illustre Néro, quelqu’un veut te vendre un esclave né à Tibur ou à Gabiæ et il te parle ainsi : « Cet esclave est blanc et beau de la tête aux talons. Il est à toi pour huit mille écus. Il est attentif et fait au service du maître, quelque peu instruit dans les lettres Grecques et propre à quelque art que ce soit. Tu pourras le modeler comme une argile humide. De plus, bien qu’il chante sans art, il plaît pendant qu’on boit. Trop de promesses excitent la défiance ; celui qui loue sa marchandise plus que de raison veut en être débarrassé. Rien ne me presse ; je suis pauvre, mais mon argent est à moi. Personne ne te proposerait ce marché, et je n’offrirais le pareil à personne. Cet esclave a failli une seule fois, et, comme cela arrive, s’est caché sous l’escalier, ayant peur de la courroie qui y pend. » 

Donne tes écus, si cette fuite avouée ne t’effraye pas. Je pense que le marchand peut emporter sûrement la somme. Averti, tu as acheté un esclave vicieux ; et la loi est contre toi. Tu le poursuis cependant et lui intentes un procès injuste.

Horace, Épitres, II, 2, Traduction de Leconte de Lisle


Les prix sont très variables. Caton indique qu'il refuse de payer un esclave travailleur plus de 15 mines (1 500 drachmes). Dans l'oeuvre de Plaute, les prix varient de 3 mines (300 drachmes) à 120 mines (= 12 000 drachmes) pour une courtisane...

 

Les enfants exposés

Les enfants exposés à leur naissance étaient voués à la mort ou à l'esclavage. Si quelques uns étaient recueillis et adoptés par des couples désireux d'enfants, d’autres étaient aussi recueillis par des proxénètes. On en trouve un exemple dans l'Héautontimeroumenos de Térence.


Le traitement des esclaves

La familia rustica de l'époque de Caton est composée, en dehors du vilicus et de sa femme, d'esclaves de deux catégories : les uns sont libres d'aller et venir, les autres sont enchaînés ; le jour, ils travaillent entravés et la nuit, ils sont mis aux fers dans l'ergastule. Ce sont les esclaves dangereux, réfractaires à la discipline ou qui ont tenté de s'enfuir.

Varron détaille avec soin, le choix des esclaves en fonction des taches qui leur seront confiés et la hiérarchie à établir entre chacun : 

Choisissez des sujets propres à la fatigue, au-dessus de vingt-deux ans, et qui montrent des dispositions pour l’agriculture. On juge de leur aptitude par des travaux d’essai, ou en les questionnant sur ce qu’ils faisaient chez leur précédent maître. Prenez pour les diriger des esclaves qui ne soient ni insolents, ni timides ; qui aient une teinture d’instruction, de bonnes manières, de la probité, et qui soient plus âgés que ceux qu’ils surveillent : ils en seront mieux écoutés. Cette position, par-dessus tout, exige l’intelligence des travaux rustiques : car l’esclave n’est pas là seulement pour donner des ordres : il doit mettre la main à l’œuvre ; montrer par l’exemple ce qu’il faut faire, afin que ses subordonnés comprennent que ce sont ses talents et son expérience qui le placent au-dessus d’eux. Il ne faut pas permettre au chef d’employer les coups pour se faire obéir, quand il peut arriver au même but par de simples remontrances. Évitez également d’avoir plusieurs esclaves de la même nation ; car c’est une source continuelle de querelles domestiques. Il est bon de stimuler, par des récompenses, le zèle des chefs ; de leur former un pécule, de leur faire prendre des femmes parmi leurs compagnes de servitude. Les enfants qui naissent de ces unions attachent les pères au sol ; et c’est par suite de ces mariages que les esclaves d’Épire sont si réputés et se vendent si cher. Quant aux chefs, on fera bien de flatter leur amour-propre, en leur donnant de temps à autre quelque marque de considération. Il est bon également quand un ouvrier se distingue, de le consulter sur la direction des ouvrages. Cette déférence le relève à ses propres yeux, en lui prouvant qu’on fait cas de lui, qu’on le compte pour quelque chose. Stimulez encore son zèle par de meilleurs traitements, une nourriture plus choisie, des vêtements moins grossiers, l’exemption de certains travaux ; ou bien encore par la permission de faire paître à son profit quelques bestiaux sur la propriété du maître. C’est ainsi qu’on tempère l’effet d’un ordre un peu dur, d’une punition un peu sévère, et qu’on leur inspire le bon vouloir, et l’affection que le domestique, doit toujours avoir pour son maître. 

Varron, De agri cultura, I, 17.,Traduction sous la direction de M. Nizard, 1877


L'idéal romain : Caton (234-149 avant J.-C.)

Caton représente un idéal pour le Romain de la République, car il préfère les esclaves robustes et travailleurs à ceux qui auraient agrémenté de leur seule beauté sa maison:

Il ne mit jamais plus de quinze cents drachmes à l'achat d'un esclave, n'ayant pas besoin de jolis serviteurs de luxe, mais de travailleurs solides, palefreniers et bouviers par exemple. Ceux-là même, une fois âgés, il fallait, d'après lui, les vendre, au lieu de les nourrir à ne rien faire. En somme, il pensait que rien de superflu n'était bon marché ; et ce dont on n'avait pas besoin, ne se vendît-il qu'un as, lui paraissait cher.

Plutarque, Caton l'Ancien, 4, 4
 

C'est dans le De agri cultura que Caton nous fait part avec une grande précision de la manière dont il convient de traiter les esclaves de la ferme : rations, récompenses, punitions, tout est réglé avec la plus grande rigueur. Il s'agit de rentabiliser un "outil" et d'agir en fonction de ce qui est nécessaire pour qu'un travail soit fourni ; rien au delà. Plutarque éprouve le besoin d'ajouter un commentaire personnel à la rigueur de Caton : 

Toutefois se servir des domestiques jusqu'à extinction, comme si c'étaient des bêtes de somme, pour les chasser dans leur vieillesse et les revendre, je mets, quant à moi, ce procédé sur le compte d'un naturel trop obstiné et selon lequel un homme n'a pas de communauté avec un autre homme, en dehors des services qu'il peut lui rendre.

Plutarque, Caton l'Ancien, 4, 5

Il préfère enseigner à son fils lui-même la grammaire plutôt que de le voir réprimander pour sa lenteur par un esclave, aussi compétent fût-il. (Plutarque, Caton l'Ancien, 20, 3). 

Cicéron, quant à lui, insiste davantage sur la nécessité d'être juste. Le travail est certes une obligation pour l'esclave mais il doit comporter une contrepartie :

Il faut être juste même envers les plus petits. La condition et le destin des esclaves sont ce qu'il y a de plus bas et l'on prescrit avec raison au maître d'en user avec eux comme avec des artisans qu'il aurait à ses gages : c'est-à-dire exiger du travail, le rétribuer justement.

Cicéron, Des devoirs, I, 13, 41

 

Esclave de la famille

Chaque famille romaine possède des esclaves "domestiques", chacune selon sa richesse. D'une manière générale, il y a au moins une servante pour la maison et un esclave pour les travaux ordinaires. Pour les plus riches, il faut notamment : 

  • pour l'éducation des enfants : une nourrice et un pédagogue
  • une servante qui s'occupe de l'habillement et de la parure de la maîtresse
  • un esclave portier et coursier
  • un esclave "accompagnateur" 

Plaute, Mercator, V. 390


Fidélité des esclaves

Nombreux sont les textes qui rapportent les actes de courage et de fidélité des esclaves. De tels faits sont notés par le philosophe Sénèque (De beneficiis, III, 2) ou par Valère Maxime qui y consacre un chapitre entier où l'orateur Antoine mis en difficulté dans un procès s'en remet à son esclave : 

L'esclave lui conseilla spontanément de le livrer aux juges pour être torturé, l'assurant qu'il ne sortirait de sa bouche aucun mot capable de nuire à sa cause. Il tint sa promesse avec une constance admirable : en effet déchiré de mille coups de verges, étendu sur un chevalet, brûlé même avec des lames chauffées à blanc, il brisa tous les efforts de l'accusation et sauva la vie à l'accusé. On aurait bien raison de reprocher à la fortune d'avoir mis sous les apparences d'un esclave une âme capable d'un tel dévouement et d'un tel courage.

 Valère Maxime, Faits et dits mémorables, VI, 8 

 

Les esclaves publics

Si la grande majorité des esclaves à Rome est utilisée dans la famille pour l'artisanat et les travaux agricoles, il existe aussi des esclaves publics qui prendront une place très importante sous l'Empire. Messagers, greffiers, scribes, secrétaires, il s'agit le plus souvent d'esclaves utilisés dans les grandes administrations ou d'esclaves qui secondent les publicains lors des collectes des impôts dans les Provinces. Certains de ces esclaves pouvaient même représenter leur cité dans la conclusion d'actes juridiques. Ils avaient donc une vie relativement autonome et obtenaient plus facilement leur affranchissement.
 

La prostitution sacrée

Vénus fut assimilée dès le deuxième siècle à l'Aphrodite du Mont Éryx, au Nord-Ouest de la Sicile, dont le culte aurait été fondé par Énée après la mort de son père Anchise. Les Romains ne cessèrent de promouvoir cette Vénus Érycine parce qu'ils reconnaissaient en elle la mère de leur ancêtre Énée. Cette déesse du Mont Éryx était d'ailleurs une déesse composite : des éléments sémitiques se mêlaient aux représentations grecques. Son aspect dominant était celui du plaisir et de la fécondité. Dans le temple d'Aphrodite du mont Éryx, officiaient des hiérodules, des prostituées sacrées qui honoraient la déesse en s'unissant avec les pèlerins de passage. Assez courant en Orient comme en Égypte, par exemple, ce genre de culte était plus rare dans le monde gréco-latin. Une autre forme de prostitution sacrée est connue à Corinthe comme le rapporte Strabon : 

Le temple de Vénus à Corinthe était si riche, qu'il possédait à titre de hiérodules ou d'esclaves sacrés plus de mille courtisanes, vouées au culte de la déesse par des donateurs de l'un et de l'autre sexe ; et naturellement la présence de ces femmes, en attirant une foule d'hommes dans la ville, contribuait encore à l'enrichir. Les patrons de navires, notamment, venaient s'y ruiner à plaisir.

Strabon, Géographie, VIII, 6, 20

Les esclaves dans les oeuvres de Plaute

Plaute, auteur de la fin du IIIe siècle avant notre ère, met en scène de nombreux esclaves dans ses comédies. Elles peuvent être riches d'enseignements, même s'il convient de se souvenir :

  • qu'il reprend très souvent des pièces antérieures du répertoire grec,
  • que ses personnages sont "littéraires", c'est-à-dire fortement marqués par une tradition qui leur donne un rôle précis (Cicéron, Pro Roscio comoedo, VII, X).


Les Saturnales

Les esclaves ont le droit de participer à une fête et d'y être relativement libres : la fête des Saturnales (entre le 17 et le 23 décembre). On pouvait aller jusqu'à renverser les rôles, les maîtres servant leurs esclaves à table et ceux-ci se permettant vis-à-vis d'eux une franchise de langage qui allait jusqu'à la critique de leurs travers ou de leurs vices : c'était la liberté de Décembre, pour parler comme Horace. D'autres licences encore étaient accordées aux esclaves, celles notamment de pratiquer les jeux de hasard, qui en tout autre temps leur étaient interdits : 

DAVUS : J'attends depuis longtemps, désirant, esclave que je suis, te dire quelques mots, et je tremble.
HORATIUS : N'est-ce pas Davus ?
DAVUS : Oui, Davus, ami de son maître et suffisamment honnête, c'est-à-dire assez pour que tu penses qu'il doive vivre.
HORATIUS : Allons, use de la liberté de Décembre, ainsi que nos pères l'ont voulu. Parle. 

Horace, Satires, II, 7


Des amnisties permettaient de libérer les prisonniers qui vouaient leurs chaînes à Saturne ; on choisissait de préférence l'approche des Saturnales pour affranchir les esclaves, qui, en reconnaissance, offraient au dieu des anneaux de bronze. Ce sont surtout des textes du temps de l'Empire qui nous font connaître ces fêtes, mais les Saturnales datent déjà de 217 avant notre ère.

Lucien de Samosate imagine un dialogue entre Saturne et son prêtre : 

SATURNE : Je mène une bonne vie de vieillard (...). Pendant ce temps-là, Jupiter fait aller le monde avec mille tracas, à l'exception de quelques jours, où il me rend la royauté aux conditions que je t'ai dites, et je reprends le pouvoir, afin de rappeler aux hommes comment on vivait sous mon empire. Tout poussait alors sans soins et sans culture : point d'épis, mais le pain tout préparé et les viandes tout apprêtées ; le vin coulait en ruisseaux ; l'on avait des fontaines de lait et de miel ; tout le monde était bon et en or. Telle est la cause de mon empire éphémère : voilà pourquoi ce n'est partout que bruit, chansons, jeux, égalité parfaite entre les esclaves et les hommes libres ; car, sous mon règne, il n'y avait pas d'esclaves.
LE PRÊTRE. Eh bien, moi, Saturne, je me figurais que tu n'étais si bon pour les esclaves et pour les prisonniers, que pour honorer ceux qui éprouvent ce que tu as souffert étant esclave toi-même, et te rappelant les fers que tu as portés.
SATURNE. Ne cesseras-tu pas tes contes frivoles ?

Lucien de Samosate, Saturnales, 7-8 (traduction E. Talbot, 1012)

Révoltes d'esclaves

L’arrogance et la dureté mènent les maisons des particuliers comme les cités à la révolte (Diodore de Sicile, Histoire, 34-35, 10). C'est en Sicile qu'eurent lieu les révoltes d'esclaves les plus importantes. La première grande guerre (139-132 avant notre ère) est menée par Eunus, originaire d'Apamée, contre son maître Damophile. Après avoir tué son maître, il s'institue roi et gouverne jusqu'à deux cent mille hommes. Il fallut l'action de cinq prêteurs pour venir à bout d'Eunus (Diodore de Sicile, Histoire, 34/35, 2).

Eunoüs tua ses maîtres, Antigène et Python, se ceignit du diadème, revêtit les ornements royaux, et nomma reine la femme avec laquelle il vivait, Syrienne et sa compatriote. Il forma un conseil d'hommes réputés les plus intelligents ; parmi ces hommes il y avait un certain Achéus, Achéen d'origine, distingué par sa prudence et sa bravoure. Dans l'espace de trois jours, il arma, du mieux qu'il put, plus de six mille hommes, il se faisait suivre de gens armés de serpes, de haches, de frondes, de faux, de bâtons brûlés au bout, de broches de cuisine, et saccageait tout le pays. Entouré d'une multitude innombrable d'esclaves, il osa se mesurer avec les généraux romains, et, grâce à la supériorité du nombre, il remporta la victoire dans plusieurs rencontres, car déjà il commandait plus de dix mille hommes. (…)

Des villes entières, avec leurs populations, tombèrent au pouvoir des rebelles, qui taillèrent en pièces plusieurs armées, jusqu'à ce qu'enfin, Rupilius, général romain, reprit Tauroménium, après un siège vigoureux : il avait réduit à la plus cruelle famine les rebelles, qui dévorèrent d'abord leurs enfants, puis leurs femmes ; enfin, ils se mangèrent eux-mêmes entre eux. Rupilius fit prisonnier Comanus, frère de Cléon, au moment où il allait s'enfuir de la ville assiégée. Enfin, Sarapion, Syrien, ayant livré la citadelle, tous les esclaves fugitifs qui se trouvaient dans la ville tombèrent entre les mains du général romain ; celui-ci, après leur avoir infligé des tortures, les précipita du haut d'une tour.

Diodore de Sicile, Histoire, XXXV, fragments 5-7 (voir le site de P. Remacle)


Lorsque la classe des Chevaliers s'éleva contre une mesure du Sénat qui tendait pour une part à accorder  la liberté aux esclaves, ceux-ci  se soulevèrent à nouveau entre 104 et 103 avant notre ère. Une première révolte fut rapidement et impitoyablement réprimée, mais le gouverneur de Sicile ne trouva pas la parade face à une nouvelle rébellion de quelque deux mille esclaves. Ceux-ci se choisirent un roi, un dénommé Salvius. Les insurgés l'emportèrent aisément sur les dix mille hommes du gouverneur. En même temps, dans la région de Ségeste et de Lilybée, un certain Athénion fomenta une révolte qui se développa rapidement. Salvius, qui prit le nom de Tryphon, remportait des succès  importants. Tryphon et Athénion  finirent par unir leurs efforts et conquirent la plus grande partie de la Sicile. Les légions romaines étaient alors retenues par la guerre contre les Cimbres.  Mais, la Sicile  était d'une importance cruciale pour Rome afin d'assurer  son ravitaillement en blé, le Sénat  décida d'envoyer une armée de dix sept mille hommes, commandée par le préteur Lucius Licinius Lucullus qu'affrontèrent quarante mille esclaves commandés par Athénion. Cette armée, après avoir frôlé le désastre, finit par remporter la victoire et les esclaves prirent la fuite. Les survivants choisirent d'effectuer un suicide collectif, se donnant  mutuellement la mort plutôt que d'offrir aux Romains le plaisir de les voir affronter des bêtes féroces dans un spectacle du cirque (Florus, Abrégé d'Histoire romaine, III, 20).

Bien longtemps après ces événements, leur simple évocation permet à Cicéron de beaux effets dans sa Seconde action contre Verrès qui, alors qu'il était préteur en Sicile, après avoir condamné des esclaves soupçonnés de complot, avait osé les remettre en liberté (Cicéron, Seconde Action contre Verrès, V, 15).

 

Spartacus

La plus célèbre révolte est celle de Spartacus en 73 - 72 avant notre ère : soixante-quatorze gladiateurs, des Thraces, des Gaulois, des Germains, s'évadèrent de l'école de Lentulus Batiatus, située à Capoue. À la tête de la révolte se trouvent trois hommes : Spartacus, un Thrace de naissance libre, Crixus et, un Gaulois. Les évadés se réfugièrent sur les pentes du Vésuve. Les troupes envoyées contre Spartacus, furent défaites les unes après les autres. Les insurgés divisèrent leurs forces en deux (Oenomaüs avait en effet été tué) : Crixus, avec vingt mille ou trente mille hommes, gagna la Lucanie tandis que Spartacus, avec des forces plus importantes encore se dirigea vers le Nord pour gagner la plaine du Pô, avant de retourner vers le Sud. Après bien des combats dans lesquels Spartacus fut victorieux, le Sénat fit appel au préteur Marcus Licinius Crassus : celui-ci était immensément riche et sa richesse reposait en partie sur le très grand nombre d’esclaves qu'il possédait et dont il tirait un revenu régulier en les louant. Crassus remporta un succès sur une troupe de dix mille esclaves. Il en tua six mille puis il livra bataille à Spartacus lui-même qui se réfugia dans le Sud du Bruttium. Spartacus conçut le projet de passer en Sicile en faisant appel aux pirates ciliciens, excellents marins, mais ceux-ci se dérobèrent. La bataille finale eut lieu quelques temps après. De part et d'autre on se battit avec acharnement : soixante mille esclaves périrent et, parmi eux Spartacus dont on ne retrouva pas le corps dans cet amoncellement de cadavres. La guerre était finie. Pompée, de son côté,  massacra cinq mille esclaves qu'il rencontra sur sa route en Étrurie. Crassus, lui,  fit crucifier six mille prisonniers tout au long des cent quatre-vingt quinze kilomètres de la via Appia qui conduisent de Capoue à Rome (Florus, Abrégé d'Histoire romaine, III, 21 - Plutarque, Vie de Crassus, 8-11).

Mais quel nom donner à la guerre provoquée par Spartacus ? Je ne sais ; car des esclaves y servirent, des gladiateurs y commandèrent. Les premiers étaient de la plus basse condition, les seconds de la pire des conditions, et de tels adversaires accrurent les malheurs de Rome par la honte dont ils les couvrirent. (…)

N'ayant pas de navires, Spartacus et les siens construisirent des radeaux avec des poutres et attachèrent ensemble des tonneaux avec de l'osier ; mais l'extrême violence du courant fit échouer leur tentative. Enfin, ils se jetèrent sur les Romains et moururent en braves. Comme il convenait aux soldats d'un gladiateur, ils ne demandèrent pas de quartier. Spartacus lui-même combattit vaillamment et mourut au premier rang, comme un vrai général.

Florus, Abrégé d'Histoire romaine, III, 21

C'était moins contre l'esclavage que se battaient Spartacus, Crixus et Oenomaüs que pour conquérir un autre statut. 

"Quand les vrais esclaves en vinrent finalement à se révolter, et ce par trois fois sur une grande échelle en Italie et en Sicile dans la période entre 140 et 70 avant J.-C., ils le firent pour eux-mêmes et leur statut, non contre l'esclavage en tant qu'institution : ils ne voulaient pas, pour simplifier, abolir l'esclavage." 

FINLEY M. I., L'Économie antique, Paris, Éditions de minuit, 1975

 

Cicéron et ses esclaves

La correspondance de Cicéron nous renseigne, le "fait divers" concernant  l'esclave en fuite comme dans la lettre à Quintus datée de 59 avant J.-C. :

Licinius, esclave de notre ami le tragédien Ésopus, s'est échappé. Il s'est réfugié d'abord à Athènes chez Patron l'épicurien, se donnant pour homme libre. De là, il est passé en Asie. Un certain Platon, de Sardes, épicurien aussi, qui vient souvent à Athènes, et qui s'y trouvait précisément à la même époque que Licinius, l'a reconnu pour le fugitif, sur les indications d'une lettre d'Esopus. Il l'a fait arrêter, et mettre à Éphèse en lieu de sûreté. Est-il en prison, est-il à la meule? C'est ce que la lettre n'explique point. Tâchez, je vous prie, de découvrir notre homme, puisqu'il est à Éphèse ; et prenez toutes les précautions nécessaires pour assurer sa réintégration, dussiez-vous vous en charger en personne. Ne considérez pas ce qu'il peut valoir. Très peu de chose. Rien peut-être. Mais Ésopus est exaspéré de l'audace et de la fourberie de ce drôle ; et si vous pouvez le faire saisir et le lui rendre, vous l'obligerez sensiblement.

Traduction de M. Nisard

La correspondance nous révèle la qualité des relations entre Cicéron et Tiron, né esclave de Cicéron. Affranchi, il fait partie des proches de Cicéron. Il publie le travail de son maître après sa mort. La plupart des lettres évoquent les maladies de Tiron et l'affection de Cicéron pour son esclave secrétaire et confident. Quelques unes traitent de problèmes philologiques. Les dernières nous font percevoir la sagesse de Tiron qui s'est retiré dans sa villa, loin de l'agitation politique (Aulu-Gelle, Nuits attiques, VI,3 et XIII, 9 - Pline le Jeune, Lettres, VII, 4).

 

Le peculium

S'il n'y a juridiquement qu'un seul statut d'esclave, dans la réalité, bien des différences apparaissent. Parmi les esclaves, existent ceux qui ont le peculium, c'est-à-dire une propriété dont ils ont la gestion, et, dans une certaine mesure, la libre disposition de leurs biens. Ces esclaves vivaient de façon indépendante..."et dès que leur affaire  dépassait le minimum, leur peculium avait toute chance d'inclure des esclaves, au même titre que de l'argent, des magasins, des outils et des marchandises." Dictionnaire des Antiquités, Daremberg et Saglio, Article VICARIUS.


L'affranchissement

Il existe trois formes d'affranchissement :

  • par le cens : inscription de l'esclave dans le registre des citoyens, devant le censeur, avec l'accord du maître ;
  • par la vindicte : comparution de l'esclave et de son maître devant un magistrat et un licteur. Le cérémonial est fixé : le licteur touche l'esclave avec la baguette en prononçant les paroles : " hunc hominem ex jure Quiritum liberum esse volo" ;
  • par testament. Cette forme est surtout importante sous l'Empire.

Certains affranchis, malgré leur plaisir à être libérés, ne manquent pas de prévoir le lendemain et réclament au maître, en sus de leur libération, de rester à leur charge car un affranchi pauvre peut avoir une condition pire que celle d'un esclave dans une bonne maison.

L'esclave peut être ausi libéré parce qu'il se rachète lui même à l'aide de son pécule.

Les règles sont ici fort complexes, et l'on lira avec soin l'article Vicarius du Dictionnaire des Antiquités Daremberg et Saglio L'ancien esclave devenu affranchi prend le nom de son maître (Marcus Tullius Tiro = Tiron, affranchi de Marcus Tullius Cicéron), et conserve des obligations envers son ancien maître : le suivre dans ses voyages, lui rendre de menus services. La menace d'être réduit à nouveau en esclavage s'il ne se comporte pas selon les volontés de son patronus demeure constante tout au long de sa vie.

Bibliographie

FINLEY M. I., L'économie antique, Editions de Minuit, 1973
GOUDINEAU C., César et la Gaule, Seuil Points
p.317 et sq. 
SCHMIDT J., Vie et mort des esclaves dans la Rome
antique
, Albin Michel, 2003 ch. 6 : La riposte des esclaves (révoltes de Sicile et Spartacus)
SALLES C., Spartacus et la révolte des gladiateurs, Éditions Complexe, 1990 et 2005

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